500 euros et 500 secondes par Philippe
J'ai échappé à la mort plusieurs fois.
La première fois, c'est le jour de ma naissance. "Mort né" a annoncé le médecin et il m'a abandonné sur la table près du lit où sanglotait ma mère. Le froid du marbre m'a fait pousser de hauts cris! "Miraculé" a alors dit le médecin et ma mère m'a serré très fort dans ses bras.
La deuxième fois, j'avais un peu plus de six ans. C'était mon baptême de l'air. Mes parents m'avaient envoyé chez mon oncle qui avait immigré aux Etats-Unis. Ma mère m'avait confié à une hôtesse et j'étais parti confiant. L'avion s'est écrasé quelques secondes après le décollage : 123 morts! J'étais le seul survivant. "Un miraculé" a annoncé la Une de tous les journaux du monde.
Après cela, elle m'a laissé tranquille quelques années. Je devais avoir 23 ans quand elle s'est rapprochée de moi. Je voyageais sur le Nil, une croisière que j'avais gagnée lors d'un concours de nouvelles. Je suis tombé à l'eau en voulant photographier un bébé crocodile qui venait de plonger dans l'eau sale du plus long fleuve du monde (oui, je sais certains disent que le plus long est l'Amazone mais là n'est pas la question). Je suis tombé en poussant un grand cri, ça a dû éloigner la mort car je me suis retrouvé dans ma cabine, indemne ou presque. J'en garde une phobie pour tout ce qui est liquide.
Ensuite, la mort a dû abandonner et se tourner vers des êtres plus fragiles que moi. J'ai vécu insouciant pendant quelques années. Je me suis marié, j'ai eu 3 enfants. Puis ont suivi 7 petits-enfants et mon premier arrière-petit-enfant n'a pas tardé. J'avais presque oublié que j'étais un simple mortel jusqu'au jour où...
C'était un beau soir d'été, j'étais bien installé dans un hamac fixé au grand chêne du jardin, lisant un roman dont j'ai oublié et le titre et le nom de l'auteur tant j'ai été impressionné. J'ai senti une présence derrière moi, ma femme s'affairait dans la cuisine. Je me suis retourné et je l'ai vue : la mort, la mort qui me fixait sans sourciller.
Vous voulez savoir à quoi elle ressemblait? Elle était telle qu'on se l'imagine. Une grande dame toute vêtue de noir, tenant une faux dans une main. La capuche de sa houppelande lui recouvrait une partie du visage. Je ne voyais donc pas ses yeux mais je savais qu'elle me fixait.
Elle m'a simplement dit : "C'est l'heure".
- C'est l'heure? mais j'ai à peine 60 ans, lui ai-je répliqué.
- Cette fois, tu ne m'échapperas pas! Tout est planifié. Dans quelques minutes, la foudre va tomber sur cet arbre. Tu ne peux rien faire pour éviter cela.
- Je voudrais un délai supplémentaire : quelques années, quelques mois, quelques semaines, suppliai-je en entendant l'orage gronder au loin.
- Je passe un pacte avec toi : je t'offre 500 secondes de vie et 500 euros à dépenser comme tu l'entends.
- 8 min 20 sec! C'est bien court et que ferai-je de cette somme? Comment pourrai-je la dépenser en si peu de temps?
- C'est le temps que la lumière du soleil met pour arriver jusqu'à toi. Le compte à rebours est commencé...il ne te reste que 465 secondes! Voilà l'argent, dit-elle en déposant un petit paquet à mes pieds.
Je me mis à réfléchir à une vitesse extraordinaire. Toute ma vie a traversé mon esprit en quelques secondes. J'ai revu toute ma famille. Non, je ne pouvais pas les quitter si tôt. Je voulais voir vieillir mes enfants, grandir mes petits-enfants et le petit dernier, je voulais le connaitre.
J'ai trouvé la solution très très vite. Je me suis précipité hors du jardin, j'ai vu un homme dans la rue, je le connaissais vaguement, c'était un sans abri, un sans famille. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire s'il mourait, lui? Qui le regretterait?
Je lui ai proposé 500 euros pour qu'il endosse mes vêtements et se couche dans le hamac du jardin. Les éclairs zébraient le ciel devenu complètement noir. Le pauvre, il n'avait jamais vu une telle somme.
- C'est bien la première fois qu'on me paie pour que je me repose, dit-il en riant. Mais ça rime à quoi votre mascarade?
- Je voudrais faire une blague à ma femme mais s'il vous plait, faites-vite...
Cette histoire s'est passée il y a un peu plus de 50 ans. Je vis seul dans ma grande maison vide. J'ai vu mourir mon épouse d'abord puis mes enfants et mes petits-enfants. Leurs enfants, je ne les connais pas, aucun ne vient jamais me voir.
Voilà un demi siècle que ma vie est un enfer! Le remords d'avoir condamné quelqu'un à mort m'a poursuivi pendant de nombreuses années. Ensuite, la tristesse de voir disparaitre tous ceux que j'aimais m'a rendu complètement abruti à moins que ce ne soit les antidépresseurs qui me rendent amorphe. Et puis...je m'ennuie.
Mais qu'est-ce qu'elle attend la mort pour venir me chercher? Ne voit-elle pas que ma vie n'a plus de sens, qu'il est temps d'en finir? Chaque soir, je l'appelle mais elle reste sourde à ma détresse. Je crois qu'elle m'a complètement oublié...à moins que ce soit le juste châtiment de mon crime impuni...
Au secours! Je vis...
Eh bien voilà! Il y a quelques jours, mamie Sido proposait d'écrire une histoire sur le thème "500 euros et 500 secondes". Elle tenait ce tag de Maevina.
Pas très inspiré au départ, les mots sont venus tout seuls et, comme d'habitude, je les ai laissé faire et vous avez vu ce que ça a donné.
Voici le règlement de ce "tag". S'il vous inspire quelque chose, laissez couler les mots...je ne désigne personne.
Règlement :
- il faut "écrire un article relatant ce que vous feriez s'il vous restait 500 euros et 500 secondes à vivre. Vous avez carte blanche, que ce soit en 3 mots ou en 500 lignes, laissez libre cours à votre imagination."
- ensuite, proposer à 5 autres blogueurs de rédiger à leur tour un récit sur le même thème.
- le texte doit avoir pour titre " 500 euros et 500 secondes par.... (votre pseudo)
La citation du jour : Lire c'est aller à la rencontre d'une chose qui va exister. (Italo Calvino)
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